DES ANTILLES A PANAMA ET A COSTA-RICA


Maurice RONDET-SAINT
1931


Nous avons volontairement reproduit tel que les particularismes orthographiques et grammaticaux des textes afin d’en préserver la spécificité de l’époque…

                                                                    EN COSTA-RICA

                Port Limon : le Pastores s'est amarré à un vaste appontement couvert, donnant directement sur le large, sans autre protection. Celui-là appartient à l'United Fruit C°: la ouneït, comme on dit en Amérique. Un autre appontement non davantage protégé, se voit non loin de là; ce dernier relève du gouvernement costaricien. Il faut que l'Océan soit bien constamment calme en ces parages pour que la houle permette au poste d'être tenable. Un train attend les passagers, dont une partie sont des touristes américains. Wagons à fauteuils à pivot; la partie ouverte à l'arrière disposée pour permettre ainsi aux voyageurs de jouir, - en plein air, du spectacle. Nos chemins de fer coloniaux, voire nord-africains, devraient bien adopter cette disposition si pratique et si appropriée, lors de leurs prochaines commandes de voitures.

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               Soit dit incidemment, fini, ici, le régime sec. Mais la République de Costa-Rica a adopté une bien sage mesure les débits sont fermés le dimanche. Il est douteux que semblable modalité soit jamais adoptée chez nous où le comptoir tient une si grande place ... dans la politique.

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               La voie sort de la ville en l'inévitable défilé à travers un de ces faubourg des cités tropicales où d'invraisemblables bicoques vacillantes établies en recourant à n'importe quoi, alternent avec les bâtisses en tôle ondulée, et dont la plupart des toitures, même celles des monuments sont elles aussi, constituées. J'ignore si notre métallurgie connaît ce débouché et s'y intéresse. Mais qui n'a vu cela ne peut se faire une idée de la place que tient la tôle ondulée dans la vie de ces peuples, évidemment insensibles à l'épouvantable chaleur qui doit régner sous ces carcasses métalliques, à l'aspect vite rendu misérable par la rouille qui ne tarde pas à les ronger sous ces climats si humides.
               Après un certain parcours le long de la mer dans une brousse où le cocotier est assez exploité, la voie attaque la rude montée aboutissant à San-José, la capitale, d'où elle poursuit jusqu'à Punta-Arena - qu'il ne faut pas confondre avec la Punta-Arenas de Magellan - et port de la république sur le Pacifique.
              Cette ascension qui, en quelques heures, atteint 1.600 mètres au col, à Cartago, pour redescendre à 1.300 mètres à San-José, est bien, ainsi qu'on me l'avait dit, une des plus belles choses qui puissent s'offrir à l'admiration du voyageur. Le long de la vallée torrentueuse, encadrée de la luxuriance de la flore et de la sylve tropicales, le train grimpe en s'agrippant aux flancs des montagnes en une interminable suite de courbes invraisemblables, tandis qu'au fond dégringole un gros torrent alimenté, de ci en là par les cascades.
               Les hautes crêtes de la grande chaîne forment à ce tableau une majestueuse toile de fond. Féérique! Et puis, voici les célèbres bananeraies, les plantations de café et de cacao, appartenant en majorité à la United Fruit Co, propriétaire d'une bonne partie du territoire cultivable de ce pays, dont l'exploitation s'est condensée le long du chemin de fer, propriété lui-même de la grande firme américaine. D'ailleurs, au port comme le long du parcours, les inscriptions sont plus souvent en anglais que bilingues. Tout le matériel est américain, jusques et y compris ces curieuses draisines à moteur, qui permettent au personnel de se déplacer en vitesse d'un point à un autre, entre deux trains: ceux-ci fréquents. Partout, sur la ligne comme dans le port, on entend nasiller américain, cet anglais si difficile à comprendre sans entraînement, tant à cause de l'accent que de certains néologismes tels « to rent » pour « to let », store » pour « shop », par exemple. Il n'est point jusqu'aux méthodes de travail qui ne soient américaines. Ainsi, en un parcours de la ligne sur ce terrain très volcanique se sont produits de graves éboulements. Il a fallu dégager la voie. Les matières éboulées sont d'abord désagrégées par de puissants jets d'eau, puis éliminées au moyen de grosses bennes dragues, à l'aide de quelques seuls ouvriers. En Europe, on attellerait à ce labeur un bataillon de terrassiers. En Amérique, on y supplée par le machinisme, tant la main-d'œuvre est rare et chère. Au fait, c'est la formule de demain. Nos coloniaux trouveront un grand profit à étudier la méthode, pour leur exemple.

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               Quelle richesse, quel effort, quels capitaux formidables représentent ces immenses plantations bananières, ces vastes vergers de caféiers, ces longues futaies de cacaoyers, tout cela tenu comme un jardin.
               J'avais bien remarqué maintes bananeraies envahies par l'assaut des plantes parasites. J'étais frappé du peu de régimes suspendus aux plantes. Et voici ce que, contre toute attente, j'apprends, confirmé de diverses bonnes sources, très sûres:
               L'United Fruit Co et une firme moins importante, encore que très grosse, ont presque abandonné leurs plantations dans la République de Panama, en raison de la médiocre qualité des produits. Et le même mouvement s'accuse en Costa-Rica. La banane, par suite de l'épuisement du sol est arrivée à une telle faiblesse de rendement, tant comme nombre que comme « standard » des régimes que, la difficulté de main-d'œuvre aidant, ces splendides plantations couvrant d'immenses espaces et suscitant l'admiration du voyageur sont devenues une non-valeur économique. Est-ce une dureté du sort ou un calcul de leurs créateurs? Ceci est une autre question. En matière d'exploitation bananière, on calcule qu'il faut trois ans pour rembourser les frais d'exploitation; un an pour rembourser les intérêts du capital; trois années pour assurer le bénéfice. Or, dans la plupart des régions plantées de l'Amérique Centrale, il est démontré qu'un bananier peut fournir des régimes « standard » - c'est-à-dire correspondant aux conditions voulues de poids et de dimensions-seulement pendant sept ans. D'où l'obligation de changer sans cesse de terrains, de défricher, de délaisser ceux abandonnés, pour de longues années épuisés, de se fixer plus loin de la mer et d'étendre constamment les ramifications du réseau ferré d'exploitation.
               Que la chose soit voulue ou non, les Américains semblent lâcher le Costa-Rica. Ils ont, à ce jour déjà liquidé une partie de leur personnel et laissé entendre leur intention de distendre la rotation de leurs services maritimes à Port-Limon, voire l'intensité de leur trafic ferroviaire sur San-José, la capitale. Certains, qui connaissent bien les méthodes U. S. A. en matière de politique étrangère et les tours que ce vieux malin, pour ne pas dire cette vieille ficelle, d'Oncle Sam tient dans son sac, vous glissent à l'oreille ceci: les Etats-Unis sont, en fait, les maîtres de la République de Panama, que leur Canal-Zone coupe en deux. En Costa-Rica, ils possèdent toute une partie du sol, le port et l'unique chemin de fer. Ils viennent, de plus, de consentir à la petite république, un gros emprunt à des conditions que ne désavouerait pas Shylock. Et ce n'est pas la création du mouvement qui s'accuse en ce moment pour la nationalisation des terres et de l'industrie bananière, sous l'impulsion d'une certaine junte, qui modifiera ces dispositions, aggravées par le refus du gouvernement d'accorder à la «Yuneit » d'autres concessions sur le versant Pacifique, si riche en beautés naturelles. Ils tiennent leur affaire. Et les Américains passent maintenant au Nicaragua, parce que le Nicaragua, ce sont les terres neuves, propices à la banane; et que c'est, surtout, comme par hasard que, renouvelant sous une autre forme le coup de jadis, lors de la séparation de l'Etat de Panama, de la Colombie, un général quelconque s'est insurgé: ce qui a eu pour effet escompté de menacer les intérêts américains et de nécessiter des mesures de protection. Des troupes américaines ont donc été débarquées et, naturellement, sont demeurées. Le Nicaragua ne sortira plus, lui aussi, de l'emprise de l'astucieux Oncle Sam; lequel, au surplus, n'a rien inventé, puisque le coup d'éventail du dey d'Alger nous a valu l'Algérie, et les Kroumirs, dont on n'entendit plus parler, la Tunisie : lesquelles n’ont, au surplus, rien perdu à notre présence, Les Anglais peuvent, eux aussi, évoquer avec: reconnaissance la rébellion, en Egypte, d'Arabi-Pacha, contre qui leur cavalerie de Saint-Georges chargea avec les brillants résultats que l'on sait, Eternel recommencement des choses …
               Au demeurant, la construction du canal du Nicaragua est, pour les Etats-Unis, une nécessité absolue, Outre le côté stratégique et le risque d'un embouteillage de Panama, ce pays est si volcanique, et sujet aux secousses sismiques, que le fonctionnement du canal actuel, le jeu de son gigantesque outillage mécanique peuvent à tout instant et pour longtemps être compromis, Ainsi se trouveront successivement englobées dans l'orbite nord-américain, sans éclat ni violentes secousses, toutes ces minuscules nations, parcelles de l'immense empire hispano-américain, qui se sont constitué une vie propre lors de l'effondrement du colosse espagnol.

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               Un sujet de surprise réside dans la mesure en laquelle toute cette partie du Nouveau - Monde, une des premières qui furent en contact avec les blancs qui, par elle, parvinrent au Pacifique est demeurée pour une large part impénétrée : quelques bouts de chemins de fer, guère de routes par tronçons épars. Dès qu’on quitte un centre ou qu’on s’éloigne du rail, c’est la forêt ou la savane où vivent, de nos jours encore farouchement isolées, éparses dans ces solitudes, des tribus indiennes sur le nombre et le caractère desquelles on est mal fixé. Et cela, tout à proximité de cette grande artère mondiale qu'est le canal. N’est-ce pas déconcertant, à une époque ou tant d’admirables explorations, immédiatement suivies de la colonisation et des applications de la science, ont ouvert en cinquante ans le continent africain tout entier à la civilisation.
               Contraste amusant : les autos, particulières ou de louage, abondent, ici encore, en ces villes d'où l'on ne peut s'éloigner faute d'accès, et où, en général, les voies sont, par comparaison, à faire admirer celles de la Guadeloupe : ce qui n'est pas peu dire.
               Où peuvent bien aller ces autos? Mais aussi malheur à l'étranger qui se confie à l'un de ces tacots, ignorants du taxi, Il est trimballé, cahoté en long, en large, en travers, en huit, et se trouve à l'arrivée, devant une note formidable et réglementaire - en ce pays où un verre de fine se paie deux dollars - 52 francs! - pour un trajet que, par la suite, quand il sera un peu familiarisé avec les lieux, il accomplira en dix minutes. Directement, s'entend.
               Ce qui, par exemple, déconcerte, en tous ces pays, et suscite une admiration rétrospective, c'est la création par les conquistadors de tant de cités dont on demeure confondu que leurs créateurs aient pu les édifier. La plupart ont été situées, sans doute pour des raisons de salubrité, sur les hauts plateaux : Mexico, Sucre, Santa-Fé-de-Bogota, Caracas, La Paz. San-¬José-de-Costa-Rica, où j'écris ces lignes, est à près de 1.400 mètres. Et quand on se représente qu'il y a seulement quelques. années, il fallait quinze jours, parfois le double, pour, de Barranquilla ou de Carthagène, gagner Bogota, quand on est encore sous l'impression de cette invraisemblable montée de Port-Limon, la capitale costaricienne, on reste confondu devant les prodiges d'audace, d'endurance, d'ingéniosité qu'ont dû déployer, Dieu sait aux prix de quels sacrifices, les créateurs de ces mondes nouveaux pour faire surgir de ces terres inconnues des villes dont certaines sont devenues, tel Mexico, d'importantes cités.
               Nous, modernes, avons certes, à notre actif, des réalisations qui étonneront les générations à venir; mais nous disposons de tant de ressources, de connaissances, de moyens d'action que notre mérite est mince, en regard de celui des précurseurs.

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               La température était torride quand nous avons quitté Port-Limon. Et nous avions, sans respect humain, sorti nos casques : de petits casques discrets, gris, élégants. C'est le respect humain qui a fini par l'emporter, devant la sensation que nous étions la risée des gens; même des blancs, qui se promènent couramment nu-tête sous ces tropiques. Et nous avons finalement porté nos casques ... à la main. Ce détail, insignifiant en soi, amène cependant la question que voici:
               Il paraît hors de doute que l'influence solaire sur l'organisme humain est absolument différente en Amérique tropicale de ce qu'elle est en Afrique ou en Asie tropicale. De Rio-de Janeiro à la Nouvelle-Orléans, vous ne voyez pas un casque en dehors des étrangers inavertis. Pas un de nos coloniaux les plus endurcis ne se risquerait à en faire autant dans nos colonies du Vieux Continent. Et si le casque est porté dans nos Antilles ct en Guyane, cela tient sans doute à l'habitude qu'en ont prise nos compatriotes créoles en service dans nos autres possessions.
               Ceci, pour en arriver à ce point d'interrogation : cette évidente différence d'action solaire n'aurait-elle pas sur la végétation, sinon sur le sol, une influence à même d'agir sur la capacité de rendement et la longévité de la sylve et de la flore: donc de la banane? Je pose la question en ignorant que je suis, de ces matières, et seulement pour la livrer aux méditations de savants tels que mon éminent ami Prudhomme, directeur de l'Institut National d'Agronomie Coloniale.

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               Un autre problème, infiniment grave, préoccupe sérieusement ce pays. Et, avec lui, tous ceux qui trouvent dans le café une des bases de leur situation financière : entre autres et outre le Centre-Amérique, le Venezuela et la Colombie. On comprend leurs craintes devant la crise déchaînée sur le marché mondial du café par la débâcle qu'a déclanché au Brésil la fameuse valorisation dont il fut tant question au moment de son instauration, laquelle donna lieu, à l’époque, à de passionnées controverses. Voici longtemps déjà que le Brésil stocke. A force de stocker dans un but évident de raréfaction, il est arrivé un moment où le plafond, non seulement du stockage mais bancaire a été atteint. Au moment où j'écris, les cours ont dégringolé de 50 %' Et les offres ne trouvent qu'une faible contre-partie. Les magnifiques plantations, à l'ombre voulue des grands arbres, que l'on voit en ces contrées, produisent à force sans que nul ne puisse pronostiquer dans quelles conditions leurs produits trouveront leur débouché, le marché brésilien étant le régulateur du marché mondial, en ce compartiment. Les choses se tasseront, comme en tout. Mais après quelles phases plus ou moins pénibles? Et quand?

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               Près de sa belle habitation, M. Giustiniani, un de nos compatriotes qui nous en fait les honneurs, nous montre un chalet en bois, simple rez-de-chaussée. « On a construit cela pour y habiter quand il y a un tremblement de terre », nous dit-il le plus naturellement du monde. Sage prévision, au surplus, quand on se rappelle la catastrophe de San-Francisco, celle de Valparaiso, sans omettre, en ce pays même, celle de Cartago pour citer les plus retentissantes, en ces dernières années.
               Paris a ses embouteillages ; San-José ses secousses sismiques. La perfection n'est pas de ce monde.

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               M. Deflin, notre chargé d'affaires à San-José de Costa-Rica et Mme Deflin, installés ici avec leurs enfants, nous ont, dès notre arrivée, réservé la plus aimable réception. M. Deflin veut bien me présenter lui-même à divers membres du gouvernement et, en particulier, au ministre de Fomento, de qui relèvent les intérêts économiques de la République. Mon distingué interlocuteur me signale un fait d'ordre, non pas spécial à ce pays, mais mondial, et qui, à ce titre, mérite de retenir la très pressante attention de nos pouvoirs publics et du monde français des affaires : à savoir que toute marchandise importée est inscrite aux statistiques comme relevant du pavillon transporteur. Et comme le nôtre est absent des eaux de ce pays, il en résulte que, officiellement tout au moins, nous figurons pour presque néant dans les importations au Costa-Rica, quoique tenant, par plusieurs grosses maisons françaises, une place importante dans le commerce extérieur de ce pays. Or, en nombre d'autres pays, il doit en aller de même. On se rend alors compte de la mesure en laquelle ce fait fausse les statistiques de notre commerce extérieur. Ainsi, on me cite ce cas : un notable commerçant français établi à San-¬José importe annuellement de France pour un million rien que de soieries. Ce chiffre est porté au crédit des importations hollandaises ou allemandes, dont les bateaux apportent ici nos marchandises.
               II est aisé de supposer le tort qu'un semblable état de chose est susceptible de porter à notre rang économique au dehors. Evidemment, il y a à cela un correctif : c'est le certificat d'origine. Mais comme il n'en est pas tenu compte et que l'obligation de sa mention par les gouvernements étrangers nous échappe, on comprend combien, une fois de plus et pour changer, joue le fameux principe : la marchandise suit le pavillon.
               Ce très grave problème comporterait d'être examiné au point de vue général par nos pouvoirs publics comme par nos Chambres de commerce de la métropole et de l'étranger.

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               M. Deflin veut bien nous faire parcourir le tronçon de route - et quelle! - qui, de San-José, a été établi dans la direction du Pacifique, vers Punta-Arena, que relie d'autre part à la capitale un chemin de fer électrique appartenant au gouvernement. Inégalable spectacle que celui qui nous est offert là : à l'Est, la haute chaîne que nous avons franchie barre l'horizon. Devant nous, en panorama, la large vallée descend vers le Pacifique, entre deux autres chaînes volcaniques qui, au loin, s'étagent en plans successifs, dont le plus élevé est celui qui ceinture la si belle baie de Punta-Arena, mais que, à notre vif regret, nous n'aurons point eu le loisir d'aller visiter. Les Américains la connaissent bien et en apprécient, dit-on, la valeur ... à toutes fins utiles.
               Quelle merveille de la nature, que ce pays! et quelles joies il réserverait à qui le parcourrait, s'il était accessible. Mais il est, en dehors de la trajectoire de Port-Limon à Punta-Arena, demeuré à peu près impénétré, faute de routes. Le cheval, le hamac, de-ci de-là un abri dans la misérable case d'un hispano-indien sont les seuls moyens offerts au voyageur. Aucune ressource alimentaire qu’une grossière galette cuite sans levure, du riz - importé, soit dit incidemment - et une sorte de haricot. La forêt, le dédale à travers des montagnes abruptes, tout cela moins abordable que la forêt tropicale où nous fûmes jadis, en A. E. F. aux temps héroïques, à l'époque où les routes, aujourd'hui sillonnées d'autos, n'existaient même pas à l'état de projet. La faune, où le serpent de tout calibre et le caïman tiennent une place d'honneur, abonde, dit-on, en ces lieux fermés à d'autres que ces cavaliers, évoquant la silhouette des cow-boys chers aux films dont l'industrie cinématographique américaine a su inonder le monde, quoique généralement ineptes.

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               Le Costa-Rica attend la venue de nos marins, qu'a obtenue au prix de quelque insistance notre légation. Le petit aviso Antarès, dont nous avons vu, de loin, lors de notre passage aux Antilles, les lignes menues, est l'un des survivants de la série de ces unités construites durant la guerre. Il va, dans quelques jours, venir incarner nos couleurs en ces eaux, qui ont / reçu ces temps derniers la visite successive de belles unités de guerre, neuves, anglaises, allemandes et américaines. Avant même d'avoir vu notre échantillon, certaine presse costaricienne a déjà daubé sur lui. On est d'autant plus chatouilleux en tout ce qui touche les rapports internationaux dans ces pays d'importance secondaire, qu'on y a plus de tendance à découvrir en tout, du fait même de ce rang, motif à l'éveil d'une susceptibilité aiguë. Or, en matière maritime plus qu'en tout autre domaine, rien n'est que relatif. Et davantage encore chez toutes ces nations des lointains outre-mers, où la marine sous toutes ses formes est le seul lien qui les rattache au reste du monde. Chacun y sait parfaitement à quoi s'en tenir sur la valeur respective des navires, qu'ils soient de guerre ou de commerce, et les apprécier en connaisseur. Et la venue de l'Antarès après celle des beaux vaisseaux que je viens de mentionner sera sûrement l'objet de commentaires. D'autant plus que le Président de la République, accompagné de ministres et des notabilités costariciennes françaises a, dans un sentiment de courtoisie à l'égard de notre pays, manifesté le désir d'être reçu à bord, accomplissant ainsi deux jours de voyage, aller et retour. Je plains le commandant d'avoir à organiser cette réception sur un si modeste bateau, dont les aménagements sont trop exigus pour s'y prêter. Et ceci me rappelle ce fait, récent : une de nos unités vient à New- York. Réceptions. Seulement, le commandant disposait pour les assurer d'un somptueux crédit de 4.000 francs. Au pays du dollar et de 20 sous le petit pain d'un sou 1... Morale, ce fut notre cher président newyorkais et ami de Malglaive qui, avec le concours d'autres membres de notre section, sauva la situation, et paya les frais de l'avatar. Mais nos bourses annuelles de voyage aux Etats-Unis et au Canada ont été supprimes du coup, cette année-là, la caisse de nos donateurs ayant atteint dans l'aventure un plafond inférieur, si je puis dire.
               La vérité est que nous sommes, en France, déplorablement négligents, voire ignorants, des choses du dehors. Et c'est ainsi que, avec la meilleure volonté du monde, il nous advient trop souvent de commettre de bonne foi les plus lamentables erreurs. Telle celle-ci : quelques années avant la guerre, on envoya en visite aux Etats-Unis une division de nos quatre plus beaux croiseurs d'alors. L'idée était excellente. Seulement, on oublia que l'un d'eux était commandé par un capitaine de vaisseau des plus distingués, mais Noir. Or, on sait les irréductibles préjugés que les Yankees professent à l'égard de ce qu'ils appellent dédaigneusement « les coloured», et la façon choquante à nos yeux de Français, dont ils traitent les leurs. La présence de cet officier parmi notre état-major fut la source des plus désobligeants incidents, tant pour lui-même que pour ses camarades. Jamais la gaffe prise comme symbole dans la marine, au lieu de l'ancre, n'apparut plus de circonstance.
               La réalité est que, de nos jours, la marine constitue un des instruments les plus efficaces de la propagande nationale à l'extérieur. Seulement, cet instrument demande à être manœuvré avec beaucoup de doigté et d'opportunité. L'habitude qu'a longtemps eue la Marine de n'envoyer au loin que de vieilles bailles humiliantes pour notre pavillon, telles que le Dubourdieu, le Catinat, la Décidée et lulli quanti, a plus nui à notre prestige au loin que ne l'eut fait l'abstention. C'en est fini, fort heureusement, de ces errements. Et, en particulier, M. Leygues aura rendu un signalé service au pays en montrant depuis quelques années et sous toutes les latitudes nos couleurs arborées sur ce que nous avons de mieux comme grandes unités neuves. Il doit en être remercié.
               Quant à l'Antarès, le souhait de la visite d'un de nos navires a été formulé; il était dans les parages. On l'a envoyé sans se soucier de certains rapprochements, et pour cause. Il eût, certes, été préférable d'expédier dans ces eaux le Jeanne d'Arc quand, il y a quelques mois, il est passé par le canal, donc à proximité.
               A ce propos, il apparaît parfois que nos officiers de marine, dont la valeur morale et technique n'est nullement ici en cause, ne se rendent pas unanimement compte de l'importance du côté de représentation nationale que comporte souvent leur mission, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Aux yeux de nombre d'entre eux, paraître, figurer constitue une « bamboula » - pour employer une expression consacrée - indigne de leurs fonctions et de leur uniforme. S'ils prenaient la peine d'observer l'importance que nos rivaux attachent à cette même « bamboula », ils reviendraient sur leurs préventions à son sujet.
               Deux traits à ce propos : j'ai souvenir de certain gala à Alger en présence du gouverneur général Steeg. Les deux premiers rangs de la salle du grand Théâtre avaient été réservés aux officiers d'une division présente dans le port. Pas un ne vint.
               Et cet autre fait: lors de la Grande Semaine Maritime de 1928 au Havre, et de la revue navale passée par M. le Président de la République, la Ligue Maritime et Coloniale avait offert à une large délégation d'officiers de l'escadre, outre le voyage à Paris, un banquet que la gracieuseté de la municipalité parisienne avait fait suivre d'une réception officielle à l'Hôtel de Ville. Les 150 marins invités par la L. M. C. à venir à Paris étaient bien là, mais les chaises destinées aux officiers restèrent inoccupées. Et c'est à elles que M. Bouju, alors préfet de la Seine, adressa son discours; pour elles que joua la musique; pour elles que s’illuminèrent les salons.
               Heureusement que ces faits se passaient entre nous, Français, Il faut être convaincu qu'ils ne se fussent point produits à l'étranger. Ils n'en dénotent pas moins une certaine orientation d'esprit qu'il faut souhaiter voir se modifier.

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               M. Félipe Alvarado, notable personnalité costaricienne - et parisienne, pourrait-on dire, car Paris n'a aucun secret pour lui - veut bien, dans sa somptueuse limousine et par une bonne route, celle-là, nous montrer les abords d'un des volcans qui entourent San-José, et dont le plus haut atteint environ 3.500 mètres. Nous montons. Bientôt, les plantations de café disparaissent pour faire place à une végétation, à des pâturages qui, par place, rappellent ceux de nos campagnes: car, ce qui fait l'attrait et le charme de cet admirable pays, épine dorsale du très long isthme qui relie entre eux les deux continents américains, c'est qu'on y rencontre tous les climats et tous les produits. Du point où s'arrête la route, deux heures de cheval séparent encore du volcan. Ah! l’incomparable panorama dont on jouit de là, au coucher du soleil: à perte de vue s'étend la large vallée. Vers le Pacifique, un inouï coucher de soleil illumine l'horizon de ses lueurs littéralement rouges, tandis que de grandes nuées noires bordées d'irradiations s'accrochent au flanc des montagnes, dont, de place en place, les cimes crèvent l'épaisseur. Vers l'occident, sans crépuscule, comme il advient dans les pays chauds, la nuit s'accuse déjà et la lune brille de tout son éclat. Splendeurs de la nature que ne peut même se figurer qui n'a pas eu ce spectacle sous les yeux. Et combien est ainsi récompensé l'effort des voyages! Les Anglo-Saxons le savent bien, eux dont l'afflux touristique constitue pour une si large part une source de prospérité au profit de leur pavillon. Le grand tourisme s'accuse chaque jour davantage comme un des éléments les plus propres à développer le rayonnement d'un pays dans le monde. Et c'est une raison de plus pour regretter que l'élément français y figure dans une si faible mesure. Dans toute cette partie du monde la langue secondaire est devenue l'anglais. Certes, la haute classe connaît Je chemin de Paris et de ses plaisirs. Nos articles de luxe tiennent ici largement leur place. Mais les grandes affaires sont, à part quelques gros « bénéfices de café », comme on appelle les usines où ce produit se traite, et certains beaux magasins, entre les mains de nos rivaux. Il en va ainsi de trop de parties du monde, parce que nous ne nous y montrons qu'insuffisamment, quand nous n'en sommes pas entièrement absents. Et cela constitue une patente infériorité pour la chose française. Ce n'est pas qu'il manque chez nous de gens qui pourraient voyager outre-mer. Mais nous avons, en général, une autre conception de la vie. Combien cette conception paraît étriquée à l'envisager ainsi à travers les larges horizons; et comme on comprend mieux que l'avenir est aux peuples qui débordent, au lieu de se cantonner dans le cadre étriqué de leurs quatre murs nationaux. Il est vrai que nous avons nos colonies et le magnifique effort que nous pouvons nous enorgueillir d'y avoir accompli en si peu de temps. Mais le monde offre, lui aussi, un champ illimité aux activités. Sachons y tenir notre place, si nous voulons demeurer une grande nation dans la ruée des peuples vers la richesse, base de la puissance, elle-même garantie de l'avenir.

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               San-José, modeste capitale d'un petit Etat de 500.000 habitants, - assure-t-on, car le recensement doit être bien imprécis possède de superbes cinémas, dont certains ne dépareraient les plus vastes, les plus beaux de la Ville ¬Lumière. Quand on voyage, il faut tout voir et tout observer. Un mot donc sur le rôle international du cinéma considéré comme instrument politique et économique. Les Nord-Américains ont, plus et mieux que tous autres, merveilleusement compris le parti que l'on peut tirer de ce si puissant instrument de propagande. Ils s'appliquent à toucher la masse jusqu'en ses couches profondes, par l'image, parlée ou non. Leurs films inondent aujourd'hui le monde entier, y compris la France. Le battage effréné qui rentre dans la manière américaine compense ce que l'affabulation a le plus souvent de ridiculement puéril. L'écran est en passe de convaincre l'humanité que tout ce qui est américain est supérieur. Or, la « fin finale » de cette gigantesque entreprise universelle se concrétise par ce mot, qui résume tout, en Amérique: Business! Business! Business!...
               Et voilà pourquoi nous nous devons d'encourager, nous également, notre industrie cinématographique, de la protéger, de la diffuser. Cela aussi sera « grandiose, merveilleux, déconcertant, ultime, formidable, etc.…comme disent du moindre de leurs élucubrations les producteurs américains. Et, par-dessus le marché, ce sera pratique et pas bête.

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               L'instant du départ est venu. Bientôt notre train, à attelages automatiques comme partout en Amérique, soit dit incidemment, franchit le col qui, dans son cadre de majestueuses montagnes volcaniques, sépare le versant atlantique du versant pacifique. Sans doute ne reverrons-nous jamais cette beauté? Mais nous en conserverons pour toujours le souvenir. De la plate-forme du wagon aimablement mis à notre disposition par le gouvernement costaricien, nous contemplons cette invraisemblable descente vers Limon, dont, en ce sens, l'aspect est peut-être plus varié, plus impressionnant, que la montée, avec cette opposition qu'offre un paysage suivant le sens où l'on accomplit le parcours : assertion qui semble un paradoxe et est cependant une réalité courante.
               Nous franchissons sans encombre la montagne en éboulement : prions le Créateur, qui nous exauce, de faire tenir encore une heure certain mont voisin, assez peu rassurant; traversons en longeant le rivage, la longue plaine tropicale, plantée de cocotiers, qui précède l'arrivée à Port-Limon où nous accueille un irréprochable hôtel colonial dont certains pays de ma connaissance feraient pas mal de s'inspirer pour l'adoucissement de la vie de leurs contemporains.
               Détail qui a son importance pour les coloniaux : en Amérique tropicale, la moustiquaire au lieu d'être montée sur un dais rigide, encombrant, incommode, laid et coûteux, est en mousseline serrée, et non en tulle et montée sur un petit cercle qu'une poulie permet d'élever et de descendre à volonté. Elle protège ainsi hermétiquement tout le lit contre les attaques du sinistre insecte. C'est propre, joli et pratique. Ici, comme en tout, il suffisait d'y penser ...

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               Port-Limon est une de ces cités à la fois fastidieli ses parce qu'elles sont toutes taillées sur le même modèle et qu'elles ne comportent aucun intérêt, et curieuses aussi par leur soudain surgissement partout où s'est établie la civilisation dans les mondes neufs. Elle est, en fait, une création de l'United Fruit Co, qui a doté le Costa-Rica d'un port atlantique auquel n'eût jamais pu prétendre ce pays. La ville est bâtie à l'américaine, par « cuadres » à angle droit. Voirie impeccable. Un admirable parc, peuplé de plantes, de luxe dans nos pays nordiques, courantes ici. Au centre, un de ces forts jolis kiosques à musique dont s'adorne, en ce pays, la moindre agglomération de quelque importance. Le quartier américain proprement dit, édifié à part par la « Youneit » pour son personnel, est une suite de jolies villas coloniales engrillagées contre les insectes, ordonnées, dans un joli parc, que complète un espace réservé aux tennis, ceux-ci transformés certains soirs en dancings.
               Sur une petite pelouse précédant une villa se tient, sans s'occuper de notre présence, un de ces innombrables gros charognards, nommés saupilotes, et qui sont protégés partout en Amérique du Sud pour les services d'épuration dus à leur appétit. Ailleurs, ils constitueraient un coup de fusil dont maint chasseur serait fier. Ici, qui tuerait un saupilote s'exposerait à des poursuites: Constant contraste des choses.

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               C'est en ce moment, période d'élections dans ce pays. Bien rarement un manifeste de minuscule format le rappelle. Mais assez nombreuses se voient les affiches de taille modeste, elles aussi, et qui, avec le portrait du candidat, se contentent de porter la mention: cc Vive Chose! » cc Vive Machin» ! Et Chose, Machin, de s'être visiblement efforcés de faire, devant l'objectif une tête aussi sympathique que la nature le leur permet. Ce mode simplifié de campagne électorale m'a paru à la fois tout à fait ingénieux et fort respectueux de l'électeur. Ingénieux, parce qu'il dispense le candidat de se tirebouchonner le cerveau à chercher par quels bobards, rarement inédits d'ailleurs, il pourra ahurir le corps électoral, et le convaincre que voter pour lui c'est assurer le bonheur public. L'électeur, parce qu'il est ainsi mis à l'abri de passer pour un irréductible gobeur dont la naïveté, souvent poussée jusqu'à la niaiserie, est insondable. L'un et l'autre parce qu'ainsi ils n'auront pas en relisant les factums, les insanités ou parfois les mensonges que sont trop souvent les professions de foi, à redouter la confusion d'avoir souvent poussé le toupet jusqu'à l'impudence; le second, celle d'avoir cru à des boniments que le moindre bon sens eût ramenés à leur valeur.

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               C'est la banane qui a provoqué, de la part des Américains, la création de Port-Limon aussitôt devenu la métropole de l'énorme trafic que l'on sait et qui fait l'intérêt offert par ce point, en même temps que le sujet d'observations bonnes à retenir, principalement en ce qui concerne notre A. O. F. Sans entrer dans les détails techniques, on ne peut laisser de mentionner ici l'impression de puissance et de perfection que donnent, en marche, les cinq grands appareils roulants, mus électriquement qui assurent le transfert., du railway au bord, de trains entiers chargés de régimes en vrac, arrimés de même; le tout avec l'évident souci de réduire au minimum le recours à la main-d'œuvre; et, en vue d'éviter les surestaries, d'obtenir le maximum de rapidité dans les opérations. On aura une idée de l'importance de la suppression de l'emballage quand j'aurai rappelé que celui-ci compte pour 90 millions dans les 600 millions d'exportation bananière que font annuellement les Canaries. Ce n'est évidemment pas demain que notre A. O. F. et moins encore nos Antilles, pourront aborder l'exploitation et le trafic de la banane avec une telle ampleur de 'moyens, mais les milieux intéressés seront bien inspirés en s'assimilant, dans leurs efforts présents et à venir, les enseignements, les expériences, voire les leçons que leur offrent ces pays de l'Amérique Centrale, dans l'ordre en question.

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               A part quelques types de cavaliers bronzés, au large chapeau, chaussés de hautes bottes, montés sur des chevaux tenant souvent plus du canasson que du coursier, le classique lazzo enroulé contre la selle, nulle part nous n'aurons vu un costume, une silhouette intéressante, pas plus dans la monb.gne que sur la côte où, soit dit incidemment, le gros de la population est noir, tandis que dans le haut pays, il est blanc, indien ou métissé. Et pas davantage le joli spectacle contemplé jadis, le soir, aux grandes Antilles et au Mexique, de ces jeunes filles en grande toilette, circulant autour de la musique, tandis que les jeunes gens déambulaient en sens inverse, sous l'œil des parents et des petits, assis en cercle, et que les cavaliers caracolaient à l'entour. La seule fois que nous aurons entendu de la musique, c'est dans le joli parc de Limon. Les musiciens étaient vêtus comme ceux de nos vulgaires fanfares et, au son de leurs accents rebattus, la pluie menaça. En fait de types, quelques toilettes plus que parisiennes; d'élégants messieurs en pantalon, souliers et chemise d'un blanc impeccable; et, surtout, de jeunes personnes noires, vêtues de robes très « grands magasins », infiniment courtes, les bras et les épaules nus, finement chaussées : très « Joséphine Baker », la célèbre étoile noire. La toilette tient évidemment une place de premier plan, en ces lieux : après, toutefois, les enfants, qui pullulent, la comme dans tous les pays hispano-américains, où ce n'est pas la place qui manque, il est vrai, et où, dans le peuple tout au moins, ils ne coûtent guère a élever. Par contre, grosse mortalité infantile, me dit-on, ainsi que je l'aurai entendu tant de fois, dans toutes les régions tropicales. On me cite des chiffres qui, à les prendre tels, feraient penser qu'il meurt plus d'enfants qu'il n'en naît. Ce doit être exagéré mais me rappelle que si, en France, nous nous étions mieux et plus généralement organisés contre ce même fléau, nous verrions se modifier séance tenante notre situation démographique, par rapport aux autres peuples d'Europe, de la plupart desquels, depuis quelque temps, nous avons dépassé le pourcentage de natalité, si grande et rapide est leur régression, sous ce rapport.

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               Ici comme en tant d'autres points du monde, nous sommes arrivés dans ce pays des inconnus, personnellement tout au moins. Ce sont des amis que nous laissons, par l'accueil si cordial, par toutes les attentions dont nous aurons été comblés. J'ai, sous bien des latitudes, entendu des déclarations d'affection a l'adresse de notre pays. Je les ai réentendues au Costa-Rica, avec cette chaleur d'expression propre à la race : « J'aime mieux la France que ne l'aime M. Poincaré lui-même », me déclarait avec conviction, et sans doute sincère sur le moment, un Costaricien distingué. J'ai accueilli ce dire en m'efforçant de persuader mon interlocuteur que je ne cherchais nullement l'écart entre l'expression et le fond. Nous nous sommes quittés comme des camarades d'enfance qui se séparent. Nous ne nous reverrons certainement jamais, et le savions. Ces effusions, de la sincérité desquelles vous auriez tort de douter - à l'instant où elles se manifestent - sont un des charmes des longues randonnées.

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               Du pont du paquebot hollandais « Simon-Bolivar », qui va nous reconduire à Colon, j’aperçois un tout petit point qui grandit, pas beaucoup et finit par prendre forme de bateau mixte de guerre ou de paix, pour venir mouiller à quelques encâblures du port : C'est notre Antarès tant attendu, et de la venue duquel toute la presse du pays parle. L'Antarès dément la fable. De loin, ce n'est rien, et de près c'est quelque chose.
Pas bien imposant, certes, mais représentant, en ce moment, l'incarnation de la France. C'est bien pour cela que, lorsque la France s'incarne quant et où que ce soit, il faudrait qu'elle le fasse à sa mesure.
               L'Antarès salue la terre de ses salves, qui claquent sec. La terre répond correctement. L'Antarès amène les couleurs costariciennes. Les deux pays viennent de se serrer la main. A coups de canon, le canon jouant, comme on sait, un rôle presque tout aussi important dans les manifestations de courtoisie internationale que dans les cas contraires, si j'ose dire.

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               J'eusse désiré, à défaut de la ligne française, absente de ces eaux, prendre la ligne allemande pour me rendre compte de la façon dont nos sympathiques voisins de l'Est renaissent sur mer. Mais cela prolongeait sensiblement notre séjour à Port-Limon. Et dame! quand on a en une heure ou deux, visité ce centre, contemplé ses appontements et qu'on n'a plus d'autre perspective que d'y cuire en étuve, c'est plus volontiers le tableau des départs que tout autre objet qui retient l'attention. Or, le hollandais étant en tête de liste, à lui le mouchoir. Et puis, il n'était pas sans intérêt non plus d'examiner comment les descendants de Ruyter s'y prennent pour faire si honorable figure sur les grandes routes maritimes. C'est, en effet, bien remarquable que la petite Hollande tienne sur le mouvement du Canal de Suez, thermomètre de l'activité internationale, un rang y primant le nôtre: fait, soit dit incidemment, qui donne une assez modeste idée de nos facultés de rayonnement, à nous la grande nation coloniale de l'Afrique Orientale, de Madagascar, de la Réunion, de l'Inde Française, de l'Indochine, de la Nouvelle-Calédonie et des possessions du Pacifique.
               Le Simon-Bolivar est le symbole même de son pays: Le grand yacht le mieux au point n'est pas plus méticuleusement entretenu. Tout est verni ... jusqu'aux marches des échelles de coupée. Ce qui est tout de même un peu exagéré ... Si verni qu'au lieu d'attirer les visiteurs, comme à nos bords, un gros commandant rougeaud, à allures de bouledogue, surveille lui-même les allées et venues entre le quai et le bateau et fait pourchasser quiconque n'est pas du bord ou passager.
               La tenue du personnel civil est élégante comme celle d'un grand club. La cuisine, parfaite. La boisson, payée à part, comme partout, en dehors de nos paquebots qui ont bien tort de ne pas publier à son de trompe ce si important avantage, se cote comme si la bière était du champagne. La décoration, normale sous le ciel brouillé de La Haye, apparaît lourde et désaxée sous les Tropiques. La note générale rappelle le mode allemand, tempéré par cette rudesse bonne enfant et un peu fruste que l'on retrouve le plus souvent chez les flamingants. Le tout pesant administratif et dénué de distraction, suinte l'ennui. Un mois là-dessus? Non: je reviendrais plutôt en Europe à la nage ...
               Ces détails vous paraissent peut-être bien secondaires? Si vous les jugez ainsi, c'est que, enfermées dans le cadre de votre existence gravitant dans le cercle restreint du monde français ou ouest-européen vous n'avez pas - et en êtes très excusable - la moindre notion de l'évolution du monde contemporain. Nous sommes à l'orée d'une époque où tout ce qui était féodal, jadis, tout ce qui est national aujourd'hui sera continental demain, mondial après - demain. Il n'est plus de pays fermés, ni isolés. L'humanité tout entière est entrée dans la danse des milliards, des compétitions économiques, dans la bagarre pour la place au soleil. Et l'arme de cette mêlée gigantesque, effarante, c'est la marine, c'est le pavillon, c'est la place tenue par chacun sur les mers. Vous ne vous en doutez guère, vous, les snobs, les piliers de casino, les beaux messieurs et jolies dames pour qui la mer est seulement l'occasion de montrer votre plastique aux passants et de vous faire brunir la peau au soleil, parce que c'est la mode en ce moment. La mer, vous la regardez comme une occasion à trempette. Les bateaux, vous les suivez de loin, dans leur course vers l'horizon et prenez volontiers leur arrière pour l’avant. Si l'on vous demandait ce qu'est le pavillon anglais et pourquoi il est tantôt fond blanc, fond rouge ou fond bleu vous seriez bien embarrassés de répondre. Si l'on vous disait que l'anglais a supplanté le français comme langue courante universelle, vous n'y croiriez-pas. A moins que cela ne soit indifférent à votre quiète cervelle. Et si l'on vous ajoutait que, en dehors des pays français, notre billet de mille francs fait figure de sapèque derrière le dollar et la livre, vous écarquilleriez les yeux. C'est pourtant comme je vous le dis. Et j'ajoute que, si, coûte que coûte et par tous les moyens, nous ne défendons pas notre place sur les grands marchés et les grandes routes des océans, dans quelques décades pas beaucoup, nous serons une nation de second plan, en dépit de notre culture, de nos qualités de Louis XIV, de Napoléon et de Verdun.
               Voilà. Maintenant, croyez-moi, ou ne me croyez pas. Le devoir est de dire ces choses à nos honorables compatriotes, car il faut, coûte que coûte, s'efforcer d'étudier jusque dans les détails les méthodes et les organisations il e nos rivaux, de connaître leurs forces et leurs faiblesses, afin d'égaler ou de surpasser les unes, ou de profiter des leçons des autres. Seulement, pour cela, il faut y aller voir. Et trop peu des nôtres, qui pourraient le faire, y vont : d'où, finalement, infériorité nationale.

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               Dans la nuit chaude qui tombe, éclairée par un paradoxal clair de lune, la côte s'estompe peu à peu. Au loin les hauts monts volcaniques, du flanc desquels on aperçoit le Pacifique. D'un bord à l'autre des deux rivages, le long ruban du chemin de fer où est venu s'agglomérer tout ce qui peuple, tout ce que produit ce pays entre deux vastes régions à peine pénétrées. Au sud, derrière la grande chaîne, c'est le San-Salvador, tout petit, mais si riche. Tout près du Nord, le Nicaragua en proie à des convulsions anarchiques que contemple patiemment, en attendant l'heure, la garnison américaine installée à Managua, la capitale. Demain, nous serons à Panama, dans la Zone. Et en toute cette partie du monde plane l'ombre de ce vieux malin d'Oncle Sam, vissé ici, installé là à son comptoir, ou Sherlock Holmes à sa place, sous des formes diverses, à Porto-Rico, à Saint-Domingue, à Haïti, à Cuba. Il est dans l'Amérique Centrale, où son emprise est en marche.
               Surtout qu'il soit bien entendu que les Etats-Unis ne sont pas impérialistes, ce vilain qualificatif étant réservé aux Français qui, comme le monde entier le sait, parce que leurs amis comme leurs ennemis le leur répètent à tout propos, ne rêvent que plaies, bosses et conquêtes.
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Mise à jour : avril 2012
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